Fromage fermier : lettre ouverte au Ministre de l’agriculture

Monsieur le Ministre,
Nous avons été invités à nous prononcer sur le projet de décret d'application de l'art L. 641-19 du code rurale et de la pêche pour les fromages fermiers. Ce décret doit préciser l'usage du terme fermier lorsque le processus d'affinage des fromages est effectué en dehors de la ferme, en conformité avec les usages traditionnels afin que l'information du consommateur soit assurée.
Pour la première fois depuis que le processus de consultation est lancé, toutes les organisations professionnelles concernées étaient réunies autour de la table le 9 mars dernier. Tous les participants à cette réunion, associations de producteurs et interprofessions, ont critiqué le projet de décret présenté par la DGCCRF.
En effet, ce projet de décret affaiblit le terme fermier car son imprécision conduira à des dérives graves mettant en péril la plus-value des producteurs fermiers. Il constitue aussi, en l'état, une tromperie des consommateurs car il ne permet pas de faire clairement le lien entre l'affineur et le producteur. De plus, ce décret est censé définir les « usages traditionnels » lorsque le fromage fermier est affiné en dehors de l'explicitation, ce qui n'y figure pas. Enfin, la DGCCRF a clairement pointé, lors de cette réunion, son incapacité à mener des contrôles de grande ampleur pour éviter les dérives.
Ce projet de décret est insuffisamment protecteur du terme fermier et peu viable, il est donc indispensable que le Ministère de l'économie et des finances sursoit à son transfert au Conseil d'État et poursuive les discussions.
Nous réitérons ainsi nos propositions :
- la possibilité d'apposer le terme « fermier » pour des fromages affinés en dehors de la ferme doit être limitée aux appellations d'origines protégées qui prévoient l'affinage en dehors de la ferme dans leur cahier des charges.
- Le projet de décret n'implique à ce stade aucune contrainte de volumes, de territoires ou de filières. Il sera donc possible pour un affineur de collecter des fromages en blanc et de les affiner loin des territoires de production sans limites de distance et sans limites de volumes. Une quantité maximum affinée par atelier doit être définie, ainsi qu'une distance maximale entre la ferme d'origine du fromage et le lieu d'affinage.
- L'absence d'obligation d'inscription du nom du producteur nous semble également problématique dans le cadre d'un produit dit « fermier ». Apposer le nom du producteur ne pose aucune difficulté pour l'affineur, il peut être ajouté de la même façon que la DLUO (date limite d'utilisation optimale) en repiquage ou en sticker. Un affineur qui prétendrait ne pas être en mesure d'assurer cette traçabilité prouverait qu'il est bien loin de l'esprit du terme fermier.
- La disposition qui prévoit l'accord, par contrat écrit, du producteur pour l'apposition du terme fermier nous semble intéressante en théorie, mais nous interroge en pratique sur les possibilités réelles du producteur de négocier avec un acteur de l'aval. Des mesures doivent donc être prises pour garantir la possibilité réelle du producteur à donner ou non son accord, plusieurs pistes sont à creuser : intégration obligatoire de producteurs dans la gouvernance de l'atelier d'affinage, clause de non dépendance, création de groupement de producteurs pour une négociation collective etc.
Nous vous alertons, Monsieur le Ministre, afin que les négociations sur ce décret puissent se poursuivre et soient élargies aux associations de consommateurs car cela les concerne aussi. Rappelons que plus de 43 000 citoyennes et citoyens s'étaient exprimés en 2018 via une pétition[1] à l'initiative de la Confédération paysanne pour défendre le terme fermier, démontrant l'intérêt qu'ils portent à cette mention et exprimant leur volonté de détenir une information honnête sur les produits qu'ils consomment.
[1]https://www.mesopinions.com/petition/nature-environnement/projet-loi-agriculture-recuperation-terme-fermier/44517
En téléchargement :
Lettre ouverte au Ministre de l'agriculture