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ACCORDS DE LIBRE-ÉCHANGE
26.01.2023

Contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur

Au point mort depuis deux ans, les négociations pour un accord de libre échange entre l’UE* et le Mercosur* ont été relancées cet été. Lula, le nouveau président brésilien, souhaite le conclure « en six mois ». Des deux côtés de l’Atlantique, la société civile reprend son combat contre un accord socialement et écologiquement dangereux.

L'accord de libre-échange entre les pays sud-américains formant le Marché commun du Sud (appelé couramment Mercosur*) (1) et l'Union européenne est en négociation depuis 2000. Suspendues en 2004, les négociations ont repris en 2013. Bien qu'un accord de principe ait été trouvé en juin 2019, les textes définitifs ne sont pas finalisés.
Soutenu par Jaïr Bolsonaro, l'accord a été bloqué par les pays européens, officiellement en raison de l'aggravation de la déforestation en Amazonie causée par la politique du président brésilien. La France a opposé son véto dès août 2019, puis l'Allemagne en août 2020, avant que les parlementaires européens ne votent une résolution à son encontre en octobre de la même année. Depuis, leurs positions n'ont pas varié.
Mais l'enjeu est énorme : s'il était ratifié, nous aurions là le plus important accord de libre-échange conclu par l'Union européenne, de par la population concernée (780 millions de personnes) et de par les volumes d'échanges couverts (40 à 45 milliards d'euros d'importations et exportations). Souvent présenté comme un accord « des voitures contre des vaches », il vise à renforcer les exportations européennes d'automobiles, mais également celles de textiles et de produits alimentaires (fromages, lait en poudre…). Les importations en provenance des pays du Mercosur* qui seraient favorisées sont notamment la viande (bœuf, poulets…) et l'éthanol issu de la canne à sucre (2). Près de 100.000 tonnes de viande bovine pourraient être exportées vers l'Europe, conséquence de la baisse des tarifs douaniers.
L'été 2022, à l'approche des élections présidentielles au Brésil, la Commission européenne a renoué le contact avec le gouvernement de Bolsonaro, l'ultra-libéral président sortant. L'Europe veut aller vite. Et Lula, le nouveau président, aussi, déclarant vouloir trouver un accord «  en six mois ». Dans son discours de victoire, fin octobre, il a toutefois indiqué qu'il souhaitait reprendre le partenariat avec l'UE* « sur de nouvelles bases », précisant que le Brésil n'était « pas intéressé par des accords commerciaux qui le condamnent à l'éternel rôle d'exportateur de produits de base et de matières premières ». « Le Brésil et la planète ont besoin d'une Amazonie en vie », avait-il également déclaré.
Une astuce a été trouvée pour avancer : ajouter au traité des protocoles concernant la protection de l'environnement. Mais ce ou ces protocoles seraient dissociés du coeur de l'accord qui reste fondamentalement économique, dans une version très libérale.
« Cet accord n'aura de bénéfices que pour les multinationales européennes et l'oligarchie brésilienne », résume Emiliano  Maldonano, avocat brésilen pour la défense des droits humains, partenaire du Mouvement des Sans-Terre (MST, membre de La Via Campesina). L'avocat-militant fait partie d'une délégation de quatre représentant·es des opposant·es brésilien·nes à l'accord UE*-Mercosur*, une coalition rassemblant 200 organisations de la société civile du pays. La délégation était cet automne en Europe à la rencontre de ses partenaires : syndicats, associations, élu·es européens, nationaux ou locaux (cf.encadré). L'objectif est la remise à niveau commune des infos, et bien sûr la consolidation du mouvement d'opposition. Les militant·es brésilien·nes ont concentré leur voyage européen à l'Allemagne, aux Pays-Bas, à l'Autriche, à la France, principaux pays opposés à l'accord à ce stade, et à la Belgique où siègent les institutions européennes.
Ce 15 novembre, iels étaient à Paris, dans les locaux du CCFD-Terre solidaire. « Nous savons ce que sont et deviennent ces protocoles soi-disant verts, associés aux accords commerciaux : des prétextes, poursuit Emiliano Maldonado. Or tous les problèmes écologiques sont la conséquence des logiques de production et de commerce que contiennent et promeuvent ces accords. »
Autre gros problème : les négociations officielles sont des plus discrètes et la société civile, si elle est parfois poliment reçues, en est tenue éloignée. « Il faut déjà demander la démocratisation de l'information et une véritable participation de la société civile », priorise Graciela Almeida. La paysanne vit dans le Sud du Brésil, près de Porto Alegre, dans un assentamento, terres que le Mouvement des Sans-Terre a pu faire légaliser dans le cadre de sa lutte pour la réforme agraire. Evidemment, l'agro-industrie n'apprécie pas ce genre de ferme. La communauté de Graciela a été victime d'épandages sauvages de pesticides de la part de ses voisins, grands producteurs de soja (3). « 2000 nouveaux pesticides ont été homologués ces quatre dernières années sous la présidence de Bolsonaro, dont plusieurs interdits en Europe », précise la paysanne, pour qui les protocoles « verts » qui seraient adjoints à l'accord UE*-Mercosur* ne serviront qu'à le faire passer plus facilement auprès des populations. « On nous dit que chaque pays pourra décider des pesticides qu'il voudra importer, mais qui décidera dans ces pays ? On nous parle d'études pour chaque produit agrotoxique commercialisé, alors qu'on sait très bien que c'est le cocktail de 4 à 5 produits qui est épandu, avec des effets propres à ces combinaisons et sans étude dans la durée. Or ces agrotoxiques sont des armes contre notre agriculture nourricière, contre l'agroécologie que nous défendons face à l'agriculture industrielle.»
Si l'élection de Lula à la présidence suscite la satisfaction et le soulagement, tout indique que la poursuite des négociations de l'accord se fera dificilement sur des priorisations sociales et environnementales. Ce que rappelle Luana Hanauer, économiste et membre des Amis de la Terre- Brésil : « Pour remporter la présidentielle, et encore de justesse, Lula a du construire une coalition très large et hétérogène, y compris avec une partie de la droite. De plus, il est minoritaire au parlement national. Bolsonaro et ses partisans sont toujours très forts au Brésil. Les grandes familles de propriétaires terriens sont toujours puisssantes. »
Et Graciela Almeida d'enchaîner : « En 2021, dans les pays du Mercosur*, 120.000 hectares supplémentaires ont été déforestés pour répondre à la demande européenne de sucre, d'huile de palme, de viande, de cuir… Les grands propriétaires et les grandes entreprises ne veulent pas s'arrêter là et mettent la pression sur les gouvernants et les opposants. Hier, nous avons appris d'un autre assentamento avait été victime d'épandage de pesticides sur ses cultures agroécologiques, et toujours hier, nous avons aussi appris qu'un centre de formation du MST avait été incendié, que des croix gammées avaient été tracées sur ses murs. »
La paysanne insiste sur le fait de ne pas baisser les bras : « Nous n'avons plus rien à perdre, ce sont nos vies qui sont en jeu, et la vie des générations futures. » Pour les membres de la délégation, il faut continuer à faire entendre nos voix, des deux côtés de l'Atlantique, à combattre, à faire valoir nos alternatives, l'agroécologie ; il faut lutter sur le fond, sur des valeurs, pas seulement sur des textes et des chiffres.
Kretă représente les peuples autochtones du Brésil, rassemblés au sein de l'APIB, principale organisation indigène du pays. Il est un chef kaingang, peuple de la forêt atlantique, entre les états de São Paulo et du Rio Grande do Sul. « Il ne reste plus que 10 % de nos forêts : les araucanas (notre arbre) que nos ancêtres avaient plantés ont été coupés ou arrachés ; du soja est cultivé à la place par des gens qui nous méprisent. Dans nos régions, les partisans de Bolsonaro sont très puissants. En quatre ans de présidence d'extrême-droite, 300 personnes ont été tuées parmi les communautés autochtones du Brésil. L'agrobusiness tue, déboise, il est raciste, ne respecte pas nos cultures et nos spiritualités. »
On en revient là, reformulé par un représentant de l'association France-Amétrique Latine : « L'accord de libre échange UE*-Brésil est un accord capitaliste, entre capitalistes qui ne cherchent que leur intérêt ».

Benoît Ducasse

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