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CAMPAGNES SOLIDAIRES
04.02.2014

Quelles perspectives pour la filière laitière française après les quotas ?

Tous les mois découvrez un article entier du dernier numéro de Campagnes Solidaires. Ce mois-ci un petit tour du monde de la régulation laitière avec les exemples des États-Unis et de la Suisse.


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Dans une période où la communauté européenne a décidé, avec la suppression des quotas en 2015,  d'abandonner l'orientation de la production laitière au libre jeu de la concurrence et des initiatives interprofessionnelles, quelles sont les politiques laitières  des Etats-Unis et de la Suisse ? 


Une production laitière américaine très régulée

La politique laitière des Etats-Unis trouve ses fondements dans les lois agricoles de 1938, dont  certaines dispositions, notamment de protection aux frontières, sont encore en vigueur. Cette politique confère à l'Etat fédéral un pouvoir important d'intervention dans la régulation des marchés laitiers.

- Les « Federal Milk Marketing Orders » (80 dans les années 1960, 11 actuellement), organisés par région mais sous administration fédérale, régulent, mois par mois, la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières laitières, par une juxtaposition de mécanismes qui permettent un encadrement administratif des marges des industries de transformation et de distribution, une valorisation du lait différentiée selon les segments de marché des produits élaborés à partir du lait (4 classes) et  une péréquation des prix entre les producteurs. 

-  Il existe , en cas de baisse des prix , une batterie d'outils complémentaires de soutien aux revenus des producteurs alliant les achats publics de poudre de lait, de beurre ou de cheddar à prix garanti, des aides contra cycliques(1) ajustées selon le niveau des prix, complétées si nécessaire d'aides d'urgence conjoncturelles. Quand les prix sont élevés, comme dans la période récente, ces dispositifs sont désactivés mais redeviennent opératoire en cas de baisse des prix. Il y a aussi des aides incitatives pour le développement d'assurances « revenu » et l'intervention sur les marchés à terme, sans grand succès jusqu'ici.

- Des mesures de promotion de la consommation et d'aide alimentaire permettent de consolider les débouchés sur le marché domestique et à l'exportation;  l'aide alimentaire aux écoles et aux pauvres notamment mobilisent des sommes considérables, en constante augmentation (près de 100 milliards de dollars en 2010).

- Des dispositifs variés d'aides des Etats ou pris en charge par les coopératives complètent l'action fédérale, comme le programme d'abattage volontaire organisé et financé par les coopératives à partir d'une contribution volontaire des coopérateurs.

 Dans la période récente, les Etats-Unis affichent une nouvelle ambition exportatrice, ce qui les conduit à remettre en cause les programmes d'intervention qui profitent prioritairement aux concurrents étrangers et à réfléchir à de nouveaux dispositifs de défense des revenus des producteurs pour adapter leur politique laitière à ce nouvel objectif. Ils n'abandonnent pas pour autant l'organisation de la production,  la répartition de la valeur ajoutée au sein de la filière et la formation des revenus des producteurs au seul jeu du marché et réfléchissent  à un dispositif de régulation dynamique de l'offre en fonction de l'Etat du marché. On reste donc bien loin de la dérégulation des marchés qui se prépare en Europe, avec la fin des quotas et le démantèlement des dispositifs d'intervention.

 

La sortie des quotas en Suisse 

Jusqu'au débutdes années 90, la politique agricole suisse est restée explicitement tournée vers l'objectif de sécurité alimentaire du pays, assurée par de fortes protections aux frontières et  interventions régulatrices des pouvoirs publics dans l'organisation des marchés. Ainsi, en production laitière, des « quotas » ont été instaurés, dès 1977, avec une centrale d'achat d'Etat unique  garantissant les prix et contrôlant les volumes, un monopole parapublic d'importation et une subvention de la mise en marché du lait, du beurre et du fromage par l'Office fédéral de l'agriculture. (OFAG). Sous les pressions des négociations à l'OMC*, ces dispositifs ont été progressivement démantelés à partir de 1992 (baisse du soutien des prix, remplacé par des  aides directes  liées à une conditionnalité environnementale de plus en plus affirmée. Une nouvelle étape intervint à partir de 2006, avec l'abandon des quotas laitiers sur une période transitoire, durant laquelle des autorisations supplémentaires de production hors quotas sont accordées par l'OFAG aux organisations de producteurs nouvellement créées, à condition de justifier de débouchés à l'exportation.

Le retournement des marchés en 2009 débouche alors sur une « crise »  laitière dans le segment de marché des « laits d'industrie » qui écoule 60% de la production (1,8 million de tonnes pour une production totale de 3,5 millions), et concerne la moitié des producteurs (14 000 sur 28 000), 8 entreprises de transformation et 4 distributeurs(2).. La production de 395 000 tonnes supplémentaires hors quotas provoque, une chute du prix du lait de 85 centimes de CHF en septembre 2008 à 60 centimes en mai 2009, ce qui conduit, le gouvernement fédéral à débloquer 14 millions de CHF en février 2009 et 4,5 millions en octobre 2009, pour des mesures d'urgence d'aide et de stabilisation du marché du lait d'industrie.

Pourtant, la nouvelle réglementation suisse donne à l'interprofession des pouvoirs importants pour se substituer à l'intervention publique, pouvant aller jusqu'à l'attribution de « la force obligatoire », en délégant l'autorité administrative à l'interprofession. Celle-ci dispose d'un outil de pilotage du marché avec trois niveaux de prix :

- un prix contractuel, pour un volume de base calé sur  la production 2009 (base 100) fixé en référence à un prix indicatif de 62 centimes de CHF en 2010. Pour permettre au prix contractuel de rejoindre le prix indicatif, l‘interprofession à la possibilité de jouer sur « l'indice des quantités de lait contractuel »,  cette quantité pouvant être ajustée en fonction de l'état du marché ;

- un prix de « lait de bourse » pour les volumes additionnels nécessaires à l'approvisionnement du marché domestique, déterminé par un marché parfaitement transparent, avec un plancher fixé à 56,5 centimes CHF ;

- au-delà, les quantités excédentaires doivent être exportées et écoulées au « prix mondial ». Lorsque ce dernier est inférieur à 32,4 centimes CHF, le transformateur doit prendre en charge la différence pour assurer le prix minimum garanti aux producteurs.

Il s'agit  d'un système sophistiqué de différenciation du prix du lait en fonction des volumes et des marchés. La gestion est  confiée à l'interprofession qui réunit de manière paritaire les représentants du collège des producteurs (10 sièges) et ceux du collège des transformateurs et des distributeurs. Le collège des producteurs représente 2 500 « sociétés de laiteries » (groupements de producteurs locaux), réunis en 9 organisations de producteurs (OP),  mais les producteurs d'une laiterie ont aussi la possibilité de s'organiser en groupement, qui s'appelle alors des organisations de producteurs-utilisateurs ( 29 OPU).

La Fédération des producteurs suisse de lait (PSL) souhaitait au départ une organisation de producteurs unique (sur le modèle canadien) et n'envisage pas la possibilité d'une régulation interprofessionnelle efficace sans une réduction importante du nombre d'organisation de producteurs (notamment des OPU). De fait, la multiplicité des OP et des OPU nuit à la cohésion du collège des producteurs face aux transformateurs–distributeurs. L'expérience montre en effet que, bien que disposant d'outils sophistiqués et d'une réglementation qui lui confère des pouvoirs importants, l'interprofession laitière suisse rencontre de grandes difficultés à gérer la sortie de quotas et à rétablir des prix homogènes et proche du prix indicatif à la production sans une intervention régulatrice ou un arbitrage des pouvoirs publics, en tout cas dans le secteur des « laits d'industrie »  qui ne bénéficie pas de dispositifs d'appellation spécifique.

Pourtant, la Suisse est un petit pays (3,5 millions de tonnes de production laitière, contre 5 millions de tonnes pour la seule région Bretagne), plutôt réputé pour sa discipline civique, avec une transformation laitière infiniment moins concentrée que dans l'Union européenne. Sans faire de transposition trop hâtive, cela permet de s'interroger sur la capacité en France et dans l'UE* des organisations interprofessionnelles à se substituer aux pouvoirs publics pour promouvoir une  organisation des marchés qui préserve les intérêts des producteurs, et, au-delà ceux des régions et des consommateurs.

 

Jean-Chistophe KROLL,  AgroSup Dijon

Résumé d'une communication écrite pour la séance  du 12 décembre 2012 à l'Académie d'Agriculture de France.

 

(1)   Lorsque le prix de marché tombe en dessous d'un niveau de référence, le payement contra-cyclique couvre 45% de l'écart entre le prix de marché et le prix de référence.

(2)   L'autre segment de marché concerne le circuit des fromageries traditionnelles, qui élabore des produits de haute valeur ajoutée  (pas d'ensilage) dans un réseau diversifié de petites entreprises (1000 fromageries, 20 affineurs).

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