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CAMPAGNES SOLIDAIRES
03.09.2015

Une logique à bout de souffle

La crise actuelle des éleveurs est le symptôme de la faillite d’un mode de développement agricole. Ce système productiviste autodestructeur a ravagé la vie des paysans. Un énième plan d’urgence ne suffira pas, il faut changer de logiciel.

L'élevage est donc officiellement en crise. Les Français, dans leur grande majorité, partagent les préoccupations et les inquiétudes des éleveurs. Alors que ceux-ci, au bord du gouffre, se soulèvent, annonces gouvernementales et tables rondes se sont succédé cet été à un rythme effréné.

Tout le monde clame haut et fort qu'il faut sauver l'élevage, que les grandes surfaces doivent augmenter les prix, que l'on doit manger français, etc. Mais la crise d'où vient-elle ? Embargo russe ? Conjoncture défavorable ?
Certes, mais cette crise-là n'est-elle pas, avant tout, structurelle ? L'élevage n'est-il pas en crise depuis des dizaines d'années ? Les éleveurs ne sont-ils pas victimes d'un manque criant d'anticipation et de clairvoyance des décideurs politiques, et ce depuis des décennies ?

Si, bien sûr que si ! Cette crise est la faillite d'un mode de développement agricole, la nouvelle preuve d'un système qui est allé au bout de sa logique productiviste et mortifère, destructrice de vies paysannes.
Depuis la mise en place de la Pac, à la fin des années 50, profession agricole et responsables politiques de tous bords nous ont vendu, à nous paysans, le produire plus, la modernisation, les économies d'échelles. Depuis, à chaque crise, la réponse est identique : grossir, augmenter la taille de son élevage, ce qui entraîne automatiquement une surcharge de travail, la mécanisation pour compenser, l'emprunt pour financer… et, ainsi, le transfert du revenu à l'industrie agroalimentaire d'amont et d'aval et aux milieux financiers.
Inévitablement, les paysans disparaissent massivement à chaque crise agricole, victimes de ces politiques publiques. A terme, ils sont perdus, détruits peu à peu par un système voulu, mis en place et accompagné par les gouvernements successifs.

Nombre d'entre nous croulent sous les dettes, les emprunts. Très souvent, le seuil de vivabilité a été atteint, dépassé. Tous les deux jours, un paysan se suicide en France. Crise et cris d'alarme donc.

Face à ce désarroi, les annonces et les déclarations pleuvent. L'exécutif se bat avec ferveur, le gouvernement est sur le pont, François Hollande en tête, pour une vaste opération de communication.
Si notre agriculture ne marche plus, c'est par manque de compétitivité. Il nous faut donc grossir encore et encore, il faut moderniser, il faut exporter, il faut manger français partout : en France, mais aussi à Taiwan, en Chine, au Vietnam, au Maghreb. Bref… exporter, et favoriser une préférence française dans les grandes surfaces et la restauration collective.
Ces gens-là se moquent de nous quand ils négocient en même temps Tafta et Ceta, accords de libre-échange avec l'Amérique du Nord qui vont détruire à jamais la production de viande bovine en France et mettre à rude épreuve les autres filières d'élevage. Après des décennies à sacrifier l'agriculture, à la pousser dans le mur de crise en crise, on va sauver l'élevage en mangeant français… Sérieusement ?

Le plan d'urgence proposé par le gouvernement peut être au mieux considéré comme une rustine, un placebo pour traiter un mal très profond, au pire un plan de licenciement des petites et moyennes exploitations. Dans les deux cas, le compte n'y est pas. Pire, dans le deuxième on met un grand coup d'accélérateur juste avant de sauter dans le vide.

Alors aujourd'hui, il y a urgence.
Urgence à agir pour sauver les paysans ; urgence à agir pour arrêter de porter atteinte à la santé de ces femmes et de ces hommes, travailleurs de la terre ; urgence de prendre en compte les signaux alarmants que nous envoient la planète, le climat, l'environnement, les sols et l'eau, tous ces facteurs sans lesquels nous ne pourrons plus être paysans demain. Les agriculteurs sont les premiers écologistes, claironne Manuel Valls. Certes, mais quand va-t-on voir venir une politique digne de ce nom pour préserver notre socle de vie, notre environnement naturel, cette nature dont nous sommes si proches au point d'avoir choisi d'y vivre et d'y exercer notre métier !

On remarque cependant que certains systèmes agricoles sont touchés très durement par la crise, d'autres moins, voire pas du tout. Les producteurs en signes de qualité, en AOP*, en agriculture biologique, en circuits de proximité... Ces paysans-là s'en sortent mieux. Et souvent le déclic a été… une crise, justement. Puisque les pouvoirs publics ont continué à entraîner la grande majorité des agriculteurs dans le mur, ils se sont pris en charge, souvent par le biais de projets collectifs, avec l'aide d'élus locaux. Ces paysans s'en sortent, parfois ignorés des subventionnements et des aides qui continuent de primer les volumes, les hectares, le nombre d'animaux, plutôt que de primer la qualité. Et pourquoi ne prendrait-on pas le chemin qu'ils ont parcouru comme boussole des politiques publiques ?

L'agriculture trop intensive est dans le mur. Les éleveurs, coincés dans ce système de développement, n'arrivent plus à s'en sortir, alors… il faut changer le système, il faut changer notre logiciel. Il faut réorienter notre agriculture vers les systèmes qui ont fait leurs preuves. Il faut faire le choix d'une agriculture d'avenir, compatible avec les enjeux climatiques, qui valorise l'environnement plutôt que de l'exploiter et le détruire, une agriculture qui crée de l'emploi, beaucoup d'emplois, vivifie les territoires, relocalise la valeur ajoutée accaparée par les multinationales et les milieux financiers. Il faut faire le choix de cette agriculture sophistiquée, qui œuvre avec le vivant, avec l'agronomie plus qu'avec la pétrochimie. Il nous faut renouer avec l'intelligence et le bon sens et surtout, surtout, il nous faut retrouver du sens !
Devant le manque d'audace politique de l'été, la Confédération paysanne se bat, et continuera à se battre pour une autre agriculture, pour défendre et sauver les paysans. Et non pas les multinationales de l'agroalimentaire !


Laurent Pinatel,
paysan dans la Loire,
porte-parole de la Confédération paysanne

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