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PESTICIDES
29.03.2016

Santé publique ou libre-échange : un cas d'école

29.03.2016 -

Dégâts sur cerises après développement des larves de Drosophila suzukii. Introduit en Europe en 2008, ce ravageur s’étend sur le continent. Il s’attaque à des fruits sains en cours de mûrissement sur l’arbre.

Le diméthoate, un pesticide organophosphoré très dangereux, est en cours d'interdiction en France. Mais l'importation de cerises traitées avec cet insecticide est toujours autorisée, au mépris de la santé et au risque de condamner les arboricultrices et arboriculteurs français, dont les coûts de production vont bondir.

Un nouveau fléau : Drosophila Suzukii
En 2010, on constate sur les fruits rouges les premiers dégâts de ce moucheron venu du Japon. Depuis lors, il s'attaque à la vigne et à tous les fruits d'été, dont les cerises, particulièrement touchées. Le diméthoate, sur la sellette depuis le début des années 2000, s'avère être la seule molécule efficace contre ce nouveau fléau sans prédateur naturel. Mais peu efficace aux doses réglementaires, l'insecticide est utilisé à tort et à travers, mettant en péril la santé des paysan·ne·s et des salarié·e·s agricoles. Depuis 2013, le couple diméthoate/cerise arrive en tête des mesures de dépassement de limite maximale de résidus (LMR) réalisées par les services sanitaires.

Le diméthoate retiré du marché
En 2015, face au lobbying de la Fnsea pour obtenir un assouplissement réglementaire de l'usage du diméthoate, la Confédération paysanne alerte les services de l'Etat sur les dangers de cette fuite en avant : danger pour la santé publique bien sûr, mais aussi pour la filière, exposée aux conséquences incalculables sur la consommation que causerait un accident sanitaire. La Fnsea n'a finalement pas gain de cause : l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), dont les avis font autorité, vient de se prononcer pour l'interdiction immédiate du diméthoate.

Un cas d'école
Production réduite, cueillette ralentie, tri de la récolte : le coût de production des cerises sans diméthoate va considérablement augmenter. Y compris bien sûr pour les producteurs qui investiront dans des filets anti-insectes (plus de 25 000euros/ha), très efficaces contre Drosophila Suzukii. En soi, ce n'est pas un problème s'il est possible de répercuter ces surcoûts sur le prix de vente de la production. Seulement voilà : l'UE* est une zone de libre-échange, et la libre circulation des marchandises y fait figure de commandement divin. Les cerises espagnoles (notamment), produites à moindre coût avec le diméthoate viendront compromettre l'ajustement des prix du marché intérieur français aux nouveaux coûts de production. Dans ces conditions, la production de cerises en France est condamnée à court terme.  
Le ministre de l'Agriculture dispose maintenant de trois options. Il peut se contenter de prendre acte de la décision de l'Anses : le retrait du diméthoate aura alors consisté à délocaliser la production et la pollution hors les frontières nationales. Il peut aussi accorder une dérogation à l'interdiction du diméthoate, comme lui demande la Fnsea : cela reviendrait à placer la « compétitivité » au-dessus de toute autre considération et serait un scandale. Enfin, il peut accompagner la décision de l'Anses, comme nous le lui demandons, par des mesures économiques et commerciales qui feront du retrait du diméthoate une décision pleinement d'intérêt général : un plan d'indemnisation des pertes et l'arrêt des importations de cerises, le temps qu'un éventuel prédateur naturel prenne sa place et que les investissements de protection des parcelles, qui par ailleurs doivent être soutenus, soient amortis. Le ministre est là face à un cas d'école : aura t-il le courage d'affronter les dogmes du libéralisme qui méprisent le bien commun et interdisent - si ce n'est pour le pire - toute véritable transformation de l'agriculture ?


Emmanuel Aze,
paysan dans le Lot-et-Garonne,
secrétaire national

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