Demain, une marée blanche en Bretagne ?
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Quel avenir après 2015 pour la filière laitière, après la fin des quotas laitiers ? La chambre régionale de l'agriculture de Bretagne répond : près de 20 % de production en plus dans la région d'ici 2025, avec 40 % d'éleveurs en moins.
Le 1er avril 2015 marquera la fin des quotas laitiers mis en place depuis 1984 par l'Europe pour encadrer les volumes produits. Pour anticiper l'évolution de la filière, la chambre d'agriculture de Bretagne a imaginé cinq scénarios à horizon 2025 (1). Ils décrivent une spécialisation poussée où la région ne conserverait que 4200 à 7000 exploitations laitières, soit 50 à 71% de pertes. Des élevages de 88 et 134 vaches laitières en moyenne, pour produire ainsi chacun entre 620 000 et 1 200 000 litres par an.
Une casse sociale suicidaire
La réflexion a été menée en tenant uniquement compte de la pyramide des âges des producteurs. Ce n'est que l'extrapolation de ce qui se déroule depuis plusieurs décennies et qui aboutit au ratio actuel d'une installation pour quatre cessations d'activité.
Les conclusions montrent bien vers où la chambre d'agriculture veut aller : vers la concentration des volumes de production. Or cette concentration via l'agrandissement nécessite toujours plus de foncier et d'investissements en bâtiments et matériel. Elle remplace le travail par le capital. Mais ces structures, de par leur taille et leur poids financier, sont plus sensibles aux aléas de marché et aux fluctuations de prix. Des géants aux pieds d'argile.
La concentration des troupeaux modifie aussi l'assolement fourrager. Elle entraîne une baisse, voire une disparition, des surfaces herbagères pâturées. Elle accroît ainsi le coût alimentaire. Quel est donc le niveau de revenu dégagé par ces scénarios ? La chambre régionale n'en fait pas notion.
La disparition importante des chefs d'exploitations est compensée partiellement par l'embauche de salariés. Mais ce futur vivier de main d'œuvre salarial prêt à travailler dans les fermes laitières existera-t-il ?
La baisse considérable du nombre d'exploitations laitières modifiera fortement l'occupation et l'aménagement de notre territoire : combien de temps alors la chambre régionale pourra-t-elle porter son discours sur « des territoires vivants » ?
Une ambition pour des campagnes vivantes
La Confédération paysanne de Bretagne refuse en bloc ces scénarios. Elle propose de faire de l'emploi un ambition prioritaire pour la filière laitière. Cela passe par renverser la tendance actuelle du taux de renouvellement et de faire du « une installation pour un départ » l'objectif à atteindre. La réflexion sur la valeur ajoutée est la clé d'entrée du processus. Elle se conjugue soit par la valorisation des produits, soit par la maîtrise des coûts de production, et se fonde sur la recherche d'autonomie des fermes (financière, décisionnelle, alimentaire, énergétique), et donc par un changement radical de pratiques par rapport au modèle défendue actuellement par la chambre régionale.
Une fuite en avant incompréhensible
Isabelle, éleveuse avec 25 vaches laitières sur 32 ha est installée avec son conjoint depuis neuf ans dans le Morbihan : « Je ne comprends pas cette fuite en avant. Certaines exploitations laitières avec 500 000 litres pour un couple se trouvent en grandes difficultés. Elles peuvent être d'origines diverses : trop de contraintes : trop de surcharge physique, trop d'engagements financiers … Ces difficultés sont généralement liées d'un manque d'autonomie décisionnelle et entraînent souvent des difficultés financières, un ras le bol des vaches laitières, une dégradation morale et sociale, alors que le potentiel de ces fermes permettraient à plusieurs couples de bien vivre. Nos voisins agriculteurs croulent sous le boulot mais veulent encore s'agrandir, je n'y comprends rien. Avec 120 000 litres de lait produit, nous vivons BIEN sur notre ferme sans transformation et sans volonté d'agrandissement. Notre secret, c'est la simplicité et le pâturage » .
Eric Duverger, Francis Roy et Michaël Hardy, paysans en Bretagne